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Bernard Maris, l’autre de lui-même. Un économiste citoyen

Nous le pleurons parce que c’était lui parce que c’était nous. Bernard Maris était l’illustration flamboyante et modeste d’une époque optimiste même si d’autres difficultés existaient. Né en septembre 1946 à Toulouse, il est diplômé en Sciences Politiques en 1968. Deux dates qui l’inscrivent dans cette vague du baby boom et d’une société en formidable mutation. Le présent avait un avenir, pensions-nous alors. Et cette dynamique s’écrivait par la politique au sens noble du terme. B. Maris dénoncera sans faiblesse l’économisme qui humilie et affaiblit le politique.

B. Maris avait la gentillesse et l’impertinence des iconoclastes. Economiste de formation, il ne cessait de pester contre son propre camp professionnel et sa propre génération. En 2008 dans un article de Marianne : Soixante-huitards : après eux, le déluge ?, il évoque une génération libertaire - la sienne - qui a pris le pouvoir et en tire bénéfice ! « Et si les vieux étaient en train de réaliser le hold-up du siècle sur les jeunes ? » « La société de consommation, c’est eux. Le tout-voiture et le tout-camion, c’est eux. La côte méditerranéenne transformée en barrière de béton, c’est eux. D’où la crise écologique que les enfants vont devoir gérer, crise initiée par les parents au nom du je-m’en-foutisme et du gaspillage. »

En 1992, il participe avec Ph. Val à la renaissance du journal satirique Charlie Hebdo. Il en devient actionnaire et directeur adjoint jusqu’en 2008. Chaque semaine il rédigeait une chronique signée Oncle Bernard. B. Maris est en effet un brillant vulgarisateur et économiste, hétérodoxe donc inclassable. Il était tout sauf économiste ! Si par ce titre « d’économiste » l’on entend une approche libérale, formelle désincarnée oubliant l’humain et le politique. Ecoutons le dans son dernier essai (Houellebecq économiste, 2014). « L’économie est la cendre dont notre temps couvre son triste visage ».

Voici les qualificatifs évoqués par D. Seux, son débatteur sur France Inter chaque vendredi. « C’était un homme tolérant, bienveillant, amical, bourré d’humour et surtout ne se prenant pas au sérieux. Un antilibéral de gauche, anarcho-keynésien ». Il fut membre du Conseil scientifique du mouvement altermondialiste Attac. B. Maris dénoncera toujours la bien-pensance du vocabulaire et de l’économie contemporaine envahie par la doxa : « la soi-disante explosion de la dette : un outil pour diffuser la peur...! ». Sur le plan psychanalytique, la dette est une faute. Culpabilité quand tu nous tiens !

B. Maris avait de nombreuses références mais deux d’entre elles surgissaient régulièrement : Freud et Keynes qui permettent de sortir des chapelles académiques formelles oublieuses de l’homme. Il écrit une économie de l’être humain, réelle au sens premier du terme. Ses titres en disent long sur le cynisme de notre époque. Ah Dieu ! Que la guerre économique est jolie ! (1998), Lettre ouverte aux gourous de l’économie qui nous prennent pour des imbéciles (1999), La Bourse ou la vie (2000).

En 1995, le Nouvel Economiste lui attribue le titre de meilleur économiste de l’année. Qualificatif étrange pour un magazine dans la ligne parfaitement néo-libérale...

B. Maris s’est élevé contre l’économie qui ne doit pas être une science froide. En ce sens on reconnaîtra sa proximité avec le maître du XXe siècle, J.M. Keynes. En 1999, il lui a consacré un ouvrage : Keynes ou l’économiste citoyen. Pour Keynes et Maris, il n’y a pas de véritables problèmes économiques, il n’y a que des problèmes humains !

Il retrouvait aussi Keynes dans son sens de l’équilibre et de l’ambivalence constructive. Iconoclaste, pourfendeur des idées établies et pourtant nommé au Conseil de la Banque de France en 2011 ... Comment ne pas se rappeler J.M. Keynes dénonçant l’économie victorienne et ses fausses vertus, pacifiste et nommé à la gestion de l’effort de guerre au Ministère de l’Economie britannique. Keynes et le groupe d’amis dans la maison de Bloomsbury ne constituaient-ils pas alors un groupe d’intellectuels pré-soixante huitards ?

B. Maris, un personnage multiple ! Au coeur de la Banque de France, dans l’Institution-même, il plaidera pour la sortie de l’euro... Un homme de doutes aussi car il avait voté pour le Traité de Maastricht. Ami de Houellebecq, en 2014 il lui consacre un ouvrage (Houellebecq économiste) y voyant un analyste lucide du libéralisme. La Carte et le Territoire, 2010 du même écrivain, avait été pour lui une révélation. « Aucun écrivain n’est arrivé à saisir comme lui le malaise économique qui gangrène notre époque ».

B. Maris fut professeur dans diverses universités mais aussi journaliste et écrivain. Il tenait une chronique hebdomadaire sur France Inter (J’ai tout compris à l’économie) et un débat d’actualité le vendredi avec le journaliste des Echos, Dominique Seux. Chroniqueur également à la télévision.

En 2002, il se présente aux législatives sous l’étiquette des verts. A ce propos, souvenons nous d’un moment un peu magique lors de sa présentation publique d’un ouvrage à grand succès (Anti-manuel d’économie, 2006). Dans la petite assistance, une personne très écolo-centrée déclare avec conviction qu’elle ne prend que des douches froides ! « Et vous M. Maris avez-vous une voiture ? » Notre trublion de répondre d’emblée "non !.... » puis avec malice ...« mais ma femme en a une »....

Voilà bien toute cette manière de vivre et penser de B. Maris : en décalé mais aussi sans grande illusion sur les contraintes du quotidien. Un regard intelligent, fait aussi de doutes et de certitudes, charmant, un homme tout simplement fait de chair et d’os qui nous manquera. Depuis plusieurs mois, il travaillait sur la mémoire de la grande guerre avant le décès de son épouse, S. Genevoix (L’homme dans la guerre : Maurice Genevois face à Ernst Jünger, 2013).

Mais derrière la cendre de l’économiste... il y avait toujours l’espoir d’autres organisations humaines basées sur la gratuité et la réciprocité. Il confiait en 2009 au journal Libération, l’urgence de mettre en oeuvre des solutions économiques alternatives sinon avec une économie de la seule compétitivité : « le repli sur soi, identitaire, répressif ».... S. Freud et R. Girard ne sont jamais loin. « L’humanité fonctionne aussi sur la compétition et le mimétisme. La violence y est inscrite, nous n’avons pas résolu cette question ». Terrible présage.

P.L, 14 janvier 2015


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